François Truffaut, la passion des secondes rôles (extrait)

Patrick Auffay

Patrick Auffay qui joue René, le fidèle ami d’Antoine Doinel dans Les 400 Coups, a été activement, mais en vain, recherché (1) depuis 1962, date de sa deuxième et dernière prestation cinématographique avec François Truffaut dans Antoine et Colette (sketch de L’Amour à vingt ans). Ce n’est qu’à la faveur de ce livre, à la suite de mes recherches, qu’il a été retrouvé et a pu confier, plus de 60 ans après, ses souvenirs de tournage.

Si le choix par sa mère née Cotton de Bennetot du pseudonyme “Auffay”, du nom d’une commune voisine de celle de Bennetot en Seine-Maritime, a facilité l’anonymat de sa vie d’homme, son personnage attachant et déluré dans les premiers volets des Aventures d’Antoine Doinel l’a définitivement mis à l’abri de l’oubli. Le rôle qu’il interprète dans ces deux films autobiographiques de Truffaut, pour être secondaire, n’en est pas moins décisif. René incarne Robert Lachenay, l’ami d’une vie de François Truffaut. Celui de l’école buissonnière, du “refuge” lors de l’abandon des parents, de la faim, de la solidarité affective et financière, de la cinéphilie obsessionnelle puis professionnelle.

Patrick Auffay, comme Jean-Pierre Léaud, est un témoin précieux d’une époque révolue, celle de la Nouvelle Vague naissante, où Truffaut tournait pour un budget dérisoire (40 millions d’anciens francs, soit environ 680.000 euros de 2024) en décors naturels, souvent sans autorisations, en postsynchronisation, avec des comédiens eux-mêmes peu payés mais enthousiastes…

Il est aussi le témoin de l’engouement de François Truffaut pour la mise en scène d’enfants qui, à 12, 13 ans, sont déjà au cœur d’une œuvre qui se construit, et dont les images du casting montrent combien le cinéaste les aimait et leur laissait, malgré un scénario parfois très écrit, livrer leur nature.

Celle de Patrick Auffay enfant puis adolescent est moins extravertie et conquérante que celle de Léaud, mais elle apporte parfaitement le contrepoint affectif nécessaire à Antoine Doinel, rejeté par ses parents dans Les 400 Coups, ou ignoré sentimentalement par Colette dans L’Amour à vingt ans.

De la composition de Patrick Auffay dans le premier long-métrage de Truffaut, on retiendra au choix sa scène désopilante en classe avec Pierre Repp, ses déambulations poétiques avec Léaud dans le Paris noirci et humide de l’hiver 1958 ou leurs bêtises, en pyjama, dans la chambre de René transformée en tripot enfumé. Serge Toubiana et Antoine de Baecque, dans leur biographie de François Truffaut, soulignent d’ailleurs que dans ces scènes “la complicité entre Jean-Pierre Léaud, Patrick Auffay et Truffaut fait merveille (2)”.

On peut aussi, comme Robert Lachenay le fut, être touché par la scène muette de la visite de René au centre de mineurs délinquants. Antoine le voit par la fenêtre arriver avec les autres visiteurs, dont sa mère. Il a un colis pour Antoine mais l’accès lui est refusé par le gardien et le colis confisqué. La mère va, elle, rencontrer Antoine qui semble désespéré car la perte de son ami est une ultime épreuve. René repart, résigné, sur son vélo ; on imagine que le gamin est venu de loin. C’est encore une fois un affront fait à l’enfance et son besoin de liberté, par un monde d’adultes violent et autoritaire, que Truffaut dépeint avec une grande sensibilité.

Robert Lachenay s’identifie dans cette scène parfaitement à la représentation de René par Patrick Auffay puisque dans la version commentée(3) du film il lâche d’une voix empreinte d’émotion : “On voit bien qu’il me préfère à sa mère.”

Pour Patrick Auffay, lui-même enfant sans père, la rencontre avec Truffaut, au-delà des quatre semaines de tournage d’un film devenu un chef-d’œuvre du cinéma mondial, est, dit-il, le “tournant de [sa] vie (4)”.

Armand Hennon

  • (1) François-Guillaume Lorrain, Les Enfants du cinéma, Grasset, 2011.
  • (2) Antoine de Baecque, Serge Toubiana, François Truffaut, Gallimard, 1995.
  • (3) Version commentée du film recueillie par Serge Toubiana. Intégrale Truffaut, MK2.
  • (4) Entretiens avec l’auteur le 25 février 2019 et le 5 décembre 2022. Voir également l’entretien intégral en fin de livre.

Format 13×21 cm
460 pages
Auteur : Armand Hennon
Préface de Serge Toubiana
100 photogrammes des films
Photo de couverture Robert Doisneau

En librairie le 19 septembre
Disponible dès aujourd’hui sur notre site

Disponible en version brochée noir et blanc et version luxe cartonnée + jaquette en couleur